Edito
C'est une OS qui fait en un sens référence à ce que j'ai vécu ou failli vivre. De très loin, certes, mais elle m'est venue naturelement ce soir... et au fur et à mesure que j'avançais, je trouvais des points communs avec mon attitude. Peut-être que certaines se reconnaîtront aussi.
Bonne lecture.
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Je n’ai jamais aimé déménager. Il faut à chaque fois se reconstruire des souvenirs dans une nouvelle maison, rencontrer de nouvelles personnes dans une nouvelle ville. Je l’ai déjà fait quatre fois, et je n’ai jamais aimé ça. Je me souviens d’avoir eu à chaque fois cette même sensation de déracinement. Comme si on prenait un doudou à un enfant, ou que l’on détruisait son château de sable. C’est très puéril, mais c’est un peu d’actualité. J’ai dix-huit ans aujourd’hui, et j’emménage seule. Alors oui, forcément, j’ai peur de jouer la grande. Je n’ai pas vu les années passer, et mon adolescence est passée plus vite que je ne l’imaginais. Brevet, Lycée, Bac. Et voilà.
Mes affaires ont étés consciencieusement éparpillées dans toute la maison. Il ne m’était jamais venu à l’esprit que tout appartement peut paraître grand lorsqu’on y cherche toutes ses affaires. Finalement, si, même le notre peut l’être. Il y en a partout, vraiment partout. Je ne compte pas faire des aller-retour toutes les semaines de Londres à Paris, alors il vaudrait mieux ne rien oublier. Déjà trois valises sont prêtes, et j’entame seulement le garage.
Je ne sais pas pourquoi on continue de l’appeler un garage, d’ailleurs. Il y a bien longtemps que mon père a décrété que les " risques de chutes d’objets en tout genre " empêchaient que l’on y mette la voiture. Alors ca ressemble plutôt à une remise, ou à quelque chose dans ce genre. En équilibre sur un escabeau, je prends un carton au hasard sur lequel il y a écrit " Mathilde ", c’est à dire mon prénom. Dans la boîte, je découvre avec surprise de vieux costumes de princesses et des Barbies. Ce carton n’a pas du être ouvert depuis au moins deux déménagements. Le dernier remonte à 2006. Je parviens à sortir un second carton, beaucoup plus lourd que le précédent. Dans la boîte, sous une couche de poussière, il y a toutes sortes de CD Roms et de CDs. Intriguée, je regarde le nom des artistes.
Les trois grands chiffres s’étalent sur la pochette grise, et je me rappelle. De tout. De pourquoi ce CD est là. Zimmer 483, et, derrière lui, Shrei. Cela fait plus de trois ans que je les ai rangés dans cette boîte, avec quelques magazines dont j’aperçois les couvertures entre deux CDs.
Jamais aucun autre groupe de musique n’a été plus important pour moi que Tokio Hotel. Je n’ai jamais rien ressenti de pareil avec une autre musique que celle là, avec d’autres paroles que les leurs. Je les ai suivi dès leur début, je les ai aimé dès le début. Ils ont rythmé mes journées, m’ont accompagnée durant ma préadolescence. Et puis j’ai déménagé, et j’ai quitté toutes les personnes qui m’avaient connue et acceptée avec ce goût musical, cette passion, même. J’ai quitté les personnes qui me comprenaient, et avec eux j’ai laissé ma liberté et mon insouciance. J’ai déménagé, et je suis arrivée ici, en plein Paris. J’ai d’abord essayé d’assumer, et puis j’ai fini par me refermer sur moi. J’ai voulu en dire le moins possible pour ne pas que l’on se moque de moi. Ni d’eux, surtout. Parce que ce qui me blessait le plus, c’était que l’on s’attaque à ce que Tokio Hotel semblait être, sans pourtant chercher à voir plus loin que le maquillage de Bill et les dreads de Tom. Ils n’avaient pas idée des mots, ils n’avaient pas idée de leur histoire… Et puis au fur et à mesure, j’ai voulu me faire un place au milieu des jeunes de mon âge, et j’ai réalisé qu’ils ne comprendraient jamais. J’ai réalisé que je devais mettre cette partie de moi de côté pour essayer de me reconstruire une vie sociale.
Je me souviens du jour où j’ai placé ces CDs dans le carton, sur les magazines. Ce jour là, j’avais plus que jamais eu l’impression de tirer un trait sur mon enfance, et de les trahir. Parce que malgré tout, malgré tous ces cons qui m’étouffaient, je les aimais. Plus que tout autre groupe, plus que jamais. Eux, ils avaient toujours étés là pour moi.
Je réalise aujourd’hui que mon manque de confiance en moi provient peut-être de ce choix que je n’ai pas su assumer. Peut-être que si je n’avais pas tenté de rayer Tokio Hotel de ma vie, j’aurais encore pu grandir avec eux, me construire avec eux. Peut-être n’aurais-je pas eu l’impression d’être aussi peu préparée à quitter mes parents pour vivre seule.Peut-être aurais-je appris à ne pas me soucier du regard des autres. Peut-être, peut-être…
Peut-être suis-je passée à côté de quelque chose en les reniant.
Mais peut-être que ce n’est pas irrémédiable. Peut-être que le temps perdu se rattrape, finalement. Peut-être que si j’ai peur du futur, je peux essayer de corriger mes années passées à me mentir, et assumer ce que je suis.
Parce que je suis fan.