[T] Aime-moi, Anna...aime-moi. I

Il était toujours là, pleurant en silence,
et me fixait avec une telle force que j'eus l'impression qu'il voulait que je sombre sous le coup de sa peine.
Nous nous contemplâmes en silence, moi bouleversée et incapable de prononcer un seul mot,
lui pleurant, de rage et de détresse, attendant que je lui dise quelque chose.
Pendant cet interminable moment, je reconnus la chambre du blond,
et ce lit dans lequel j'avais dormi à ses côtés de nombreuses fois pendant neuf mois.

Il me défia du regard, je ne savais pas trop quoi répondre.
Non, je n'avais pas reconnu sa voix, ni ses gestes, ni son odeur.
Non, je n'avais rien ressenti de tel ce matin.
Mais je l'avais aimé, et il n'avait pas le droit de prétendre le contraire. Il savait pertinemment que je l'avais aimé de toutes mes forces,
que j'avais résisté à l'envie de partir, juste parce que je l'aimais.
Que malgré tout, tout ce qu'il m'avait dit dans ses accès de fureur, malgré toutes les insultes, le flicage, j'étais restée.
Je l'avais aimé, je savais qu'il m'aimait, même si dans ces moments là, il ne savait pas vraiment le montrer.
J'avais enduré toutes ses crises de jalousie, mais j'étais resté, pour nous deux,
en pensant qu'il pourrait changer, évoluer, arrêter de me prendre la tête.
Pour nous deux, parce que je l'aimais.

Il était sonné, comme totalement perdu par ce que je venais de dire.

Je ne trouvai alors rien de mieux que lui lancer tous les coussins qui me passaient sous la main.
Je visai mal, et il esquiva chacun d'eux, se rapprochant de moi à chaque fois.
A bout de force, je me laissai tomber à genoux, et fus prise de sanglots interminables.

Il se mit à me bercer tendrement, et je me sentis bien.
J'avais du mal à me rendre compte de ce que je venais de faire : je lui avais redonné espoir.
Ce n'était pas ce que je voulais, car je savais bien qu'il tomberait de haut.
J'aimais Tom. Presque de tout mon être.
Oui, presque, parce qu'il était évident que j'aimais encore un peu Gustav,
que mes sentiments les plus profonds envers lui n'avaient pu se résoudre à changer, ou même à disparaître en si peu de temps.


[…]

Deux jours. Et une centaine d'appels manqués.
Une quarantaine de messages vocaux. Et presque autant de messages.
Je n'osai même pas aller consulter mes mails, sachant très bien qu'il aurait également tenté de me contacter par ce biais,
puis m'y résignai, car j'avais peut-être des messages importants.
Une dizaine de messages non lus m'y attendaient. Un seul attira mon attention : un écrit par Bill.

« Objet : t'as intérêt à lire ça Anna, je déconne pas !

Ecoute Anna, t'es la pire des connasses.
Il est mal. Il te veut.
Il ne veut personne d'autre, même pas moi.
Il est désespéré, il passe ses journées à pleurer & à répéter qu'il ne peut pas sans toi, qu'il est perdu.
Quoi que t'ais fait, j'aimerais retrouver mon frère.
Alors réponds une fois quand il t'appelle, et dis-lui à quoi s'en tenir.
Si c'est fini ou pas.
Merde, mais c'est quoi ton problème ?
T'es sado en fait, j'suis sûr que ton kiff c'est faire souffrir les gens qui t'entourent, plus particulièrement les mecs qui t'aiment, non ?
J'espère que tu prends bien ton pied, salope.
Parce que mon jumeau on dirait que tu lui as arraché le coeur avec les dents.

Prends pas la peine de répondre, décroche juste quand il t'appelle.
Parce que moi, je m'en fous royalement de ta gueule.

Bill. »

Je me mis à sangloter, doucement.
Il fallait qu'il comprenne pourquoi j'avais délaissé Tom.
Peut-être que comme ça, il pourrait faire en sorte que l'homme qui hantait mes nuits me revienne plus vite.

« Objet : Lis ça, s'il-te-plaît. Mais ne le lui fais pas lire.

Salut. J'ai bien reçu ton mail.
C'est pour ça que je te réponds.
Tu t'en fous de moi, mais c'est pas le cas dans le sens inverse.
Malgré tout ce que tu m'as fait, tu vois, je continue d'espérer qu'un jour tu comprennes.
Je ne répondrais pas à ses appels, ni à aucun de ses messages.
Il se voile la face et ça ne peut plus durer.
Ce n'est pas de moi dont il a réellement besoin.
C'EST DE TOI. Toi et toi seul.
J'ai compris ça quand tu m'as dit à quel point il te manquait.
Ne le laisse pas tomber, s'il-te-plaît.
Je suis partie en comptant sur le fait que tu serais là pour l'aider à se relever.
S'il me réclame, réponds lui que je ne suis pas là, mais que toi si.
Insulte-moi, fais ce que bon te semble pour qu'il pige le message.
Et alors quand il aura compris, mais seulement quand il aura compris, je reviendrais.
Peut-être qu'il me haïra, je te laisse le soin de choisir pour nous.
Oui, ça peut paraître simple comme ça, et j'aurais bien une idée de ce que tu vas faire, mais ne précipite pas les choses.
L'amour, c'est compliqué tu sais.
Alors je veux bien t'aider un peu à enfin comprendre ce que c'est, d'aimer.
D'aimer quelqu'un d'autre que soi.
Oui parce que Tom, c'est toi.
Tu fais ça pour toi, pour l'être que vous formez ensemble et je le sais.

Moi je fais tout ça parce que j'aime Tom.
Et savoir qu'il fait la sourde oreille à la personne qui compte le plus à ses yeux, ça me navre.
Je l'aime et si, pour qu'il soit heureux, je dois souffrir, alors tant pis pour moi.
Si, pour qu'il soit heureux, je dois partir, je le ferais.
Qu'il n'essaie pas de passer chez moi, je n'y serais pas.
Mes parents ne diront rien. Gustav et Georg non plus.
Ma soeur ne sait rien.
Je pars, pour lui, pour vous deux, et pour lui et moi aussi.

Voilà, Bill. Tu vois, c'est ça, l'amour.
Le vrai.

Je ne sais pas ce que tu vas faire, hein. Mais en tous cas : merci pour lui.

Anna. »

Il s'approcha de moi, m'enlaça par la taille.
Je le laissai faire, car ses bras m'apportaient le réconfort dont j'avais besoin.
Il le savait, nous n'irions pas plus loin.
Même si il espérait au plus profond de lui, et je le sentais, que je finisse par craquer.
Il lut le mail que je venais d'envoyer à Bill, et lorsqu'il eut fini éteignit l'ordinateur, en silence.
Je me retournai face à lui, et l'observai, attendant une réponse de sa part.
Il fronça les sourcils, et plongea ses yeux dans les miens.

Je restai muette à ses dires. Comment ça, j'allais être célibataire ?
Il n'avait donc plus aucune confiance en Bill pour ce qui est du bonheur de Tom ?

Et c'est ainsi que je partis direction Berlin, pour intégrer une grande école d'arts,
une de celle qui m'avait proposé dernièrement une bourse d'étudiant pour financer mon cursus.
J'avais pris cette décision à la va vite, sur un coup de tête, mais surtout j'avais décidé de m'éloigner de la cause de mes tourments.
Loin des yeux, loin du cœur, j'allais vérifier si ce dicton était vrai ou non.

Il me prit dans ses bras, et nous restâmes enlacés jusqu'à ce que le train s'arrête devant nous.

Nous rîmes à l'unisson.

Elle s'empara de ma valise, et je la détaillai à mesure que nous nous déplacions dans la foule, en direction de la sortie.
C'était une belle fille d'un mètre 75 environ, avec une silhouette de mannequin.
Elle semblait assez excentrique, avec ses mèches fluos dans sa chevelure noire bleutée,
mais son style était étudié et très classe. Elle portait un t-shirt vintage gris et noir qui lui servait quasi de tunique,
avec un petit short blanc en dessous, des collants en dentelles gris,
et des chaussures en velours noir à talons d'une dizaine de centimètres.
Elle portait un blaser noir ainsi qu'un chapeau noir, et quelques accessoires assortis.
Elle avait beaucoup de style, un visage marquant avec des yeux d'un bleu-gris très profond.
Une assurance infaillible se dégageait d'elle, ajoutant encore une force d'attraction à son charisme naturel.

Nous rîmes, et commençâmes à faire connaissance. J'appris qu'elle allait entrer en 2ème année dans l'école,
et se destinait à devenir professeur de dessins, ou bien dessinatrice de bande-dessinée, elle hésitait encore.
Elle avait un appartement en centre-ville, à une dizaine de minutes à pied de l'école, m'expliqua-t-elle.
Elle connaissait Gustav depuis longtemps, car elle avait fait sa connaissance lorsqu'ils étaient tous deux au conservatoire de musique.
Elle connaissait également très bien Georg, et m'avoua avoir eu un petit cœur pour lui à l'époque.
Nous prîmes un taxi, et elle me fit découvrir assez rapidement les endroits les plus importants selon elle dans la capitale.
Puis nous arrivâmes enfin chez elle.
Un petit appartement, avec balcon, deux chambres à coucher, une petite cuisine mais une grande salle de bain.

Je souris.

Il y eut un petit silence, gêné.

Je me dirigeai donc dans la salle de bain, et pris un moment pour moi.
Pour me détendre te me préparer à ce nouveau départ.
De l'autre côté de la porte, la sonnerie de mon portable retentit. « In Your Shadow (I Can Shine) ».
Tom. Tom. Tom.
C'est le seul mot qui me vînt à l'esprit. Répondre. Entendre sa voix. Lui dire que je l'aime.
Je sortis en trombe de la douche, trempée, pleine de savon, j'entrepris d'aller au salon rapidement.
Mais lorsque j'ouvris la porte, la voix de Kat me parvint.