[T.] Aime-moi, Anna...aime-moi. II

A chaque fois que je vais dans ta chambre, à chaque fois c'est la même chose.
Je ne dis rien, je ne dis plus rien depuis longtemps. J'encaisse, et je me tais.
J'évite de regarder ce mur, ce mur que tu aimes tant, frérot. Ce mur sur lequel je la vois à chaque fois.
Il fallait, en plus, que tu la places au centre de toutes. Elle est là, depuis 3 ans, avec son sourire, son beau visage,
ses yeux rieurs...et je sens son regard me brûler, me consumer lentement à chaque fois que j'entre dans ta chambre.

Non.
Je n'arrive plus à me concentrer. Toute cette peine,
au fond de moi, depuis trop longtemps, n'est qu'une bombe à retardement qui va, je le sens, bientôt exploser.

[…]

Encore une baffe bien méritée. La petite brune se lève, se rhabille, et s'en va, en claquant la porte.
Elle m'obsède, ces derniers temps.
Un sentiment bizarre me papillonne dans le ventre, comme si mes sens sentaient qu'elle était là.
Mais il faut que j'arrête d'y penser. J'ai comme des hallucinations, auditives, visuelles.
J'ai l'impression parfois qu'elle est là, à mes côtés, et qu'elle me dit « Je t'aime ».
Je sais que c'est impossible, totalement impossible. Chaque fille dans mon lit est son sosie, en plus fade.
Il arrive toujours un moment dans l'acte où leurs visages se transforment et deviennent tous le sien.
J'ai eu peur la première fois, au point de devoir tout arrêter.
Mais maintenant, j'apprécie presque de la voir là, sous moi, à prendre du plaisir.
Ce n'est pas possible, je sais. Mais...mais je perds la tête.

[…]

C'est de pire en pire.
J'en peux plus, et je ne veux pas déranger Bill avec tout ça.
Il a trouvé sa moitié, et ils sont tellement heureux...je ne peux pas tout gâcher.

Alors, je souris face à lui, m'occupe le plus que je peux, je compose,
fais des voyages entre ici et Hambourg, pour aller voir les G's.
Ça m'occupe.
On fait de la promo pour notre nouvel album. On fait des concerts.
Tout ça m'occupe le cerveau le temps qu'il faut pour pas que je devienne totalement fou.

Seulement je crois que ça ne suffit plus.
La preuve : cette fille qui chante depuis tout à l'heure, sur le piano...une chanson qu'Anna adorait.
J'ai l'impression d'entendre sa voix...de la voir là, assise derrière ce piano...mais ça ne peut pas être elle.
Non.
Elle se lève, tout le monde l'applaudit, elle se retourne...merde.
Je crois que j'ai définitivement perdu la tête. Elle était là, sous mes yeux...elle ne peut pas être là.
Non.
Je me rue à l'extérieur, essayant de me convaincre d'arrêter de penser à elle, tout le temps.
Cette foutue image, de son sourire, son visage, si parfaits...je me pose sur un banc, désespéré.
J'enlève ma capuche, et mes mains viennent soutenir ma pauvre tête, qui pèse une tonne,
tellement elle est pleine de son image et de nos souvenirs.

Ça y est, ça recommence.
Putain mais c'est pas possible.
Sors de ma tête, Anna. S'il-te-plaît, sors de ma tête.

Je lève alors les yeux, et la vois, là, devant moi, en chair et en os.
Bien plus belle que chacune de mes hallucinations.
Tellement...vraie.
Mon cœur s'emplit alors d'une joie inexplicable, et je me mets à rire, rire à gorge déployée.

Puis cette joie se mue en une peine plus que douloureuse.
Elle m'arrache soigneusement le cœur, dans le plus grand bain de sang et d'amertume qu'il soit.

Je lis alors une incompréhension totale dans ses yeux, et elle s'apprête à dire quelque chose,
mais une voix masculine l'interpelle.

Alors je le vois, lui.
Matteo.
Et je comprends alors, rien qu'à son regard déterminé qu'ils sont ensemble.
Ce mec est louche.
Vraiment.
Il est arrivé à ses fins, sans doute en profitant de la faiblesse d'Anna,
en profitant de son manque d'affection qui devait être énorme, après notre séparation.
Mon cœur, précédemment arraché par la peine, se fait maintenant broyer par la haine.
Et peut-être par la folie. Sûrement plus par la folie que par la haine d'ailleurs.
Je m'en vais, en courant, et essaie de refouler toutes les larmes qui affluent, cherchant à s'échapper de mes yeux.

[…]

Merde.
Je voulais tout sauf l'affecter...mais il fallait bien que je m'y attende.
On est tellement pareil, lui et moi.
Tellement liés.
Je me demande seulement combien de temps je vais tenir, pendant combien de temps je vais pouvoir garder ça pour moi.
J'aime encore Anna. Je l'aime et ça me tue.

[…]

Demain est un autre jour.
J'aimerais savoir quel est le con qui a inventé cette expression.
Non parce que moi, depuis quelques temps, mes jours se ressemblent tous. La musique a beau être toute ma vie,
si je pouvais me passer de donner des cours à des filles qui en veulent plus à mon corps qu'à mon jeu de guitariste...
ça me désole.
Mais je le fais pour Bill : parce qu'il aime Julie,
et parce que notre présence a changé du tout au tout la réputation de sa petite boutique.
Parce que mon frère me l'a si gentiment demandé, de cette façon à laquelle je ne peux jamais résister...
Ce petit regard suppliant et envoûtant, avec sa voix la plus attendrissante.

Je me dirige donc en direction de mon cours hebdomadaire...je n'en ai pas accepté plus.
Je ne sais pas pourquoi, mais aujourd'hui plus que les autres jours, mon envie de m'y rendre est au plus bas.
Je ressens pourtant une excitation assez étrange à mesure que je m'approche de ma destination.
Elle ne vient pas de moi, non. Elle vient de mon frère.
Et je prends alors à rêver qu'elle est là-bas, avec eux.
Et qu'elle lui avait tellement manqué qu'il est ému au plus profond de lui. Qu'il en est ému au point que je le ressente.

Lorsque j'arrive à la boutique, je le trouve, en pleurs, devant un dos que je reconnaitrais entre mille.
Anna.
Une rage m'envahit, me bouffe le cœur, et me donne envie de lui casser la gueule.
Quiconque fait souffrir mon petite frère, mon double, à affaire avec moi. Et croyez-moi, c'est pas du luxe.
C'est des cris, des pleurs, suivis d'une ou deux bonnes baffes pour remettre le cerveau en place.
Et une interdiction de reparler à Bill, à moins que lui-même le veuille.
Seulement voilà, ça reste Anna, alors je préfère la prévenir :

Je ne peux pas soutenir son regard, à la fois surpris et douloureux.
Elle semble surprise par la violence de mes mots, et ne bouge pas.
Et Bill qui n'arrête pas de s'excuser auprès d'elle.
Mais quel con.
Il pleure et elle, elle pleure pas. Qui est censé s'excuser ? Je ne pense pas que ce soit lui.
Mais que voulez-vous, il a une tendance à ne pas saisir quand il a raison et l'autre tort.
L'entendre pleurer encore, et s'excuser entre deux sanglots m'énerve au plus haut point.

Elle reste bouche bée, et sa main vient m'exploser la joue, bien bruyamment.
Je ne sais pas si c'est le fait qu'elle m'ait giflé ou le fait qu'elle sembla vraiment furieuse qui me fasse le plus mal.
Son regard devient dur, perçant.
Il est d'une couleur encore plus captivante, le bleu-vert le plus sombre que je n'ai jamais vu, c
omme le reflet de la tempête qui bout en elle.
Gott qu'elle est belle.

Comment ça c'est moi qui l'ais jeté ? Je...il y a malentendu...

Elle s'en va. Sans se retourner, sans un regard. Elle s'en va et je suis paumé.
Las et paumé.