Je dors pas. La chaleur est tellement étouffante... Les étoiles défilent au dessus de ma tête. Entre les deux, y a les panneaux d'autoroute, les ponts et les lumières de ces villes qu'on ne connaitra jamais. Le bus me berce, mais rien n'y fait... La soirée passée me brouille la vue. Le stress retombe lourdement sur mon corps qui tremble de toute part. J'ai crevé de peur pour toi, tu sais. Quand j'ai gravis ces 4 putains de marches en métal pour aller plaquer mes accords sur fond de hurlements... Et que j'ai croisé ton regard dans le noir des coulisses. Maquillé et terrorisé. L'impression de mourir un peu... Tu broyais le micro de tes mains fiévreuses, et moi, je suis monté quand même. Sans entendre les appels du peu de voix qui te restait... Show must go on.
Et tu l'as fait. Parce que ça te bouffais de savoir que tu risquerais de les faire pleurer, les gamines aux ongles noirs. C'était la première fois que j'oubliais ma Gibson à ce point là. Je n'étais plus que le frère de celui qui s'explosait la gorge à vouloir offrir sa voix à ceux qu'il aime. Et j'étais fier de toi. Même quand tu as fait chanter le public à ta place, les yeux brillants de douleur. Même quand tu t'es effondré derrière la scène, entre deux chansons. Même quand on a du quitter la lumière...
Je sais même pas combien de temps j'ai attendu là, à griffer les accoudoirs blancs de ce fauteuil devant ta loge. Tu voulais voir personne. Même pas un médecin. Finalement, tu as opté pour le silence derrière tes lunettes noires. Maquillé aux larmes. Et le seul son que j'ai pu entendre de toi jusqu'à présent, c'est ta respiration saccadée qui s'échappe de ta couchette.
Debout pieds nus dans les quelques mètres carrés de notre intimité, j'observe ta silhouette filiforme dissimulée sous ces draps qui traversent le monde avec nous. Tu as fini par t'endormir, malgré les sanglots que tu as réprimé pendant des heures dans le noir de notre maison roulante... Noyé de l'intérieur. Je suis submergé par mes sentiments. T'es beau quand tu dors, tu sais. Et je dis pas ça pour me lancer des fleurs par la même occasion. Je dégage une mèche de cheveux humides de ton visage, et je retire ma main. Je ne veux pas te déranger d'avantage.
Pourtant, si je n'avais ne serait-ce qu'un peu de cran, je descendrais demander au chauffeur de faire demi-tour et de nous rammener chez nous. Et demain matin, quand tu ouvrirais les yeux, tout serait oublié. Tu pourrais aller te cacher aux yeux du monde dans cette chambre qui, pour une fois, ne dégagerait pas cette froideur impersonnelle des hôtels de luxe. Redevenir toi. Juste toi. Le temps d'une nuit, le temps qu'il faut.
Mais je reste planté là, à regarder ton long bras tatoué se balancer au rythme du bus. Je me demande à quoi tu es en train de rêver... Sans doute pas à ces dates Espagnoles qui se rapprochent et dont tu ne sais pas si tu en seras le motif d'annulation.
Quoi qu'il en soit, je ne laisserai pas mourir ta voix qui veut en donner toujours plus. Et tant pis pour le reste...