C’est avant-hier qu’ils nous ont séparés. Et à présent, je suis assis là. Je lis et je relis ces quelques mots, envoyés comme en secret. Et reçus comme par erreur. Par erreur ! ce que j’aimerais me croire ! Seulement, ces mots, plus je les relis, plus ils s’impriment dans ma mémoire et plus ils me paraissent véridiques et semblent me devenir concrets. Malgré moi.
« Je vais mourir demain. »
A la première lecture, j’ai pensé qu’une fois de plus il s’agissait de l’un de ses caprices, de l’une de ses plaisanteries. Oui, je sais. Dans le genre drôle, même moi je fais mieux. Mais en tout cas, j’étais persuadé qu’il n’était pas sérieux. Sans que nous ne nous en apercevions, la mort incernable se profile dans tant de nos expressions !
« Je vais mourir demain. »
Néanmoins, ces mots m’ont vite parus étranges. Et s’il les pensait ? Ridicule ! Comment pourrait-il bien savoir ce qu’il va advenir de lui ? Mais cette phrase aux allures de prédiction ne me réjouit pas. Pourquoi ces mots ? Je lui ai alors répondu ceci : « Arrête de jouer à ça. Nous serons bientôt à nouveau réunis. » Mais ses mots à lui sont restés les mêmes.
« Je vais mourir demain. »
C’est là que j’ai commencé à m’inquiéter. C’est louche tout ça. Je ne m’attends pas à ce qu’il réponde à mon appel mais j’essaie quand même. Coup de téléphone. Ça sonne. « Veuillez laisser un message après le biip… BIIP… » Je raccroche. A quoi ça sert ?
« Je vais mourir demain. »
Je le déteste quand il fait ça. Quand il parle comme ça, pour ne rien dire. Quand il raconte ces choses si fausses qu’il ferait mieux de se taire.
« Je vais mourir demain. »
Sa voix résonne dans ma tête. Ces mots cognent dans mon cœur. Se taire. Se taire. Tais-toi, je ne peux pas. Ne t’en fais pas. Ne t’inquiète pas. Nous serons bientôt à nouveau réunis et tout ira bien. Je le pense si fort.
« Je vais mourir… »
J’attends le « demain »…qui ne vient pas. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Et soudain, je me mets à lui parler. Arrête. Arrête de dire des bêtises. Non, Bill, tu ne vas pas mourir. Je suis là. Et je ne te laisserai pas.
« Je vais mourir. »
Tais-toi. Tais-toi. Je t’en prie, tais-toi. Ma vue se brouille. Des larmes ? Non, je ne veux pas. Je ne peux pas. Je dois être fort. Pour lui. Pour lui. Pour lui. Que j’aime.
« Je meurs. »
PAF ! D’un coup. Tout est noir. Plus rien. Et j’ai peur. Rien n’est normal soudain. Pourquoi cette obscurité m’effraie-t-elle ? Plus de lumière. Plus de bruit non plus. Et moi qui n’aime pas le silence. Puis, je comprends. Je sais ce qu’il me manque. C’est cette flamme qui avait toujours brûlée en mon intérieur, me rassurant par sa lueur et me confortant par sa chaleur. C’est lui. Il n’est plus là. Je tombe à genoux et j’explose. Ils essaient de me calmer mais à cet instant, rien ni personne ne serait en mesure d’y parvenir. Je hurle, l’eau salée de mes larmes manquant sans cesse de m’étouffer. Je hurle ma peine et mon désespoir. Ça n’intéresse personne. Je hurle ma détresse. Je veux le rejoindre. Laissez-moi ! Ils ne peuvent pas savoir. J’entends dans le lointain ce faible mais si pathétique « Je te comprends » Mais ils ne peuvent pas comprendre. J’avais juré de toujours le protéger. De ne jamais l’abandonner. Et j’ai failli. Je devais le rassurer. Le consoler. Et je n’ai pas réussi. J’avais promis de m’en occuper. Et j’ai menti. J’ai tout fait foirer. Je n’ai pas su le protéger, seulement l’abandonner. Je n’ai pas réussi à le rassurer, ni même à le consoler. Je ne suis pas parvenu à m’en occuper. J’ai laissé m’échapper ma vie ; mon frère chéri est parti.
Quand on aime, on se complaît à imaginer ces terribles scénarii, de crainte que cela ne nous arrive pour de bon. Mais le jour où ça finit par nous tomber dessus, on réalise que la souffrance qu’une perte laisse est infiniment au-delà de tout ce à quoi on avait cru pouvoir s’attendre. L’homme est fait ainsi, et il n’est jamais préparé.
Bon, je trouve qu'elle est loin de valoir certaines OS que j'ai pu écrire avant...