La fuite du vent : Kara.
Kara retourna la feuille verte et caressa chaque pli du bout des doigts. Une brise légère s`éleva sur la plaine, donnant à ses cheveux blonds un air de vent qui fuit. La jeune fille se retourna.
« Qu`est ce que tu fais encore là ? demanda-t-elle sèchement au jeune homme qui se tenait à ses cotés.
- Je t`observe. »
L`adolescente lui assena un regard noir avant de se lever. Elle se dirigea vers le chêne impérial qui trônait au centre de la plaine et s`y adossa. Ses yeux bleus balayèrent les alentours du regard ; la rivière coulait tranquillement, ne prêtant aucune attention aux quelques rochers établis sur son passage. Les oiseaux chantonnaient, perchés sur leur branche, enlacés et heureux. Les arbres, eux, faisaient danser leurs branchages au gré du vent.
Personne ne semblait prêter attention au mal être qui étreignait le cœur de la jeune fille.
Kara leva les yeux. Elle contempla un instant les deux hirondelles assises sur la plus haute branche de son chêne et s`éprit de jalousie. Elle avait besoin de liberté. Son âme nécessitait de l`air frais. Et sa témérité ne fit qu`accomplir le cour de ses pensées. Sans hésiter, Kara entreprit de gravir l`arbre. Ne craignant guère une éventuelle chute, elle atteignit rapidement le sommet de son escalade. L`adolescente s`assit, balançant ses longues jambes de part et d`autre de la branche. A peine eut-elle posé ses yeux sur le bleu du ciel que son cœur se libera de l`étau qui l`emprisonnait.
Kara souffla et se pencha vers l`arrière ; l`altitude était son domicile. Certaines personnes avaient le mal de l`air ; dans son cas, c`était tout le contraire. Elle ne vivait que pour sentir le vent caresser son visage, s`engouffrer dans ses cheveux et les démêler, pénétrer toutes ses fibres et l`enlacer jusqu`au fond de son âme. L`absolu bonheur ; qui l`aurait cru si simple ?
« Descend, lui cria une voix familière qu`elle aurait préférée éteinte. »
Kara se pencha par delà le feuillage et ce qu`elle vit confirma son pressentiment.
« Tu me fais rire, répliqua-t-elle sèchement.
- Tant que je retiens tes pleurs. »
Kara ricana et la rancœur qui s`empara alors de son âme fut indescriptible. Elle jura intérieurement en retenant l`envie meurtrière qui s`éprenait de son cœur. A cet instant, l`adolescente fut prise d`une étonnante poussée d`adrénaline dictée par la rage ; elle poussa sur ses pieds, se retourna, descendit du chêne à une vitesse surprenante et vint se placer devant le jeune homme en l`empoignant par le col. Il sourit ; ce geste n`était que l`acquiescement de ses pensées – elle tenait à lui plus que jamais.
Kara plaqua son visage à deux centimètres de celui de son interlocuteur ; ses yeux virèrent au noir.
« Tu es, murmura-t-elle d`une voix emplie de dégoût, tout ce que je méprise. Tu es l`homme qui pollue l`air, le gaz qui embrume l`horizon, le vulgaire d`une peinture, le verlan d`une poésie ; tu es le poison qui coule dans mes veines, Tom. »
Le cœur du jeune homme se réchauffa ; elle avait prononcé ces mots avec une telle froideur qu`il en sourit intérieurement. Kara souffrait, et Tom le savait. Malgré toute la bonne volonté que la jeune fille employait à cacher ses sentiments, Tom n`avait jamais eu de mal à déceler la vérité. Il l`avait profondément blessée, et il en était conscient.
« Mais je suis aussi l`unique remède à ton malheur. »
Tom attira Kara tout contre lui en l`emprisonnant de ses bras. Il passa l`une de ses mains dans sa chevelure d`or tout en maintenant une légère emprise avec le seconde sur sa hanche. Elle était si fragile, si belle ; et il l`aimait, pourtant il ne pouvait s`empêcher de lui faire du mal. Le jeune homme déposa un baiser dans le creux du cou de Kara ; l`adolescente frissonna.
« Le poison ne peut être remède, assura-t-elle en appuyant ses deux mains sur son torse pour se défaire de son emprise.
- A l`unique condition qu`il n`en soit pas le fil conducteur. »
Il l`attira à lui une nouvelle fois et caressa la nuque de Kara du bout de ses doigts ; cette gamine était son unique raison de vivre ; et il la détruisait.
Le silence s`établit. Kara ferma les yeux. Le vent s`engouffrait dans ses cheveux en les faisant voleter. Elle frémit. Tom passa sa main en dessous du T-shirt de son amie ; sa peau était glacée, sa main était brûlante. Il approcha dangereusement son visage de celui de Kara. Leurs corps étaient a présent collé l`un à l`autre. La rock star huma le parfum délicieusement sauvage de l`adolescente ; cette odeur qui l`envoûtait, ce mélange de miel et de pin atrocement attirant. Et durant un instant, Kara eut l`envie de s`abandonner une fois encore, de se laisser aller à la puissance rassurante des bras de cet homme qui la tuait à petit feu. Elle l`aimait. Elle l`aimait plus que tout ; et c`est pour cela que dans un ultime effort elle parvint à se dégager de son emprise.
« Je t`aimais, claqua-t-elle, mais ce temps est révolu. »
Kara planta son regard azur dans les prunelles de Tom et il comprit ; elle n`était plus la petite fille naïvement amoureuse qu`il avait laissée deux mois auparavant. Sa négligence l`avait endurcie, autant que son malheur. Et le jeune homme le remarquait dans ses yeux bleus glacés ; l`étincelle d`espoir qui y brillait autrefois avait totalement disparu.
Kara tourna les talons et se mit à s`éloigner. Tom contempla son roulement de hanche ; si parfaite. Que lui arrivait-il ? Il courut deux pas et la rattrapa par le poignet. Si fin et délicat. Mais Kara ne le prenait pas ainsi ; cette attitude était son bouclier, la seule défense dont elle disposait contre ses propres sentiments. Elle lui décocha un regard empli d`un mélange de douleur, rancœur, tristesse, haine et rage qui atteignit Tom de plein fouet. Il tenta une dernière intrusion dans son regard afin de la détendre, hélas l`animosité qu`il redoutait était bel et bien présente.
Kara se libera d`un mouvement sec.
« Mais je … bégaya Tom, totalement désemparé par la situation, je t`aime.
- Va en aimer une autre. »
Sa réplique avait été sans appel ; dure, sèche … atroce. Pendant une seconde, Tom crut mourir. Son cœur s`embruma. Tout en lui se troublait. Que se passait-il ?
« Kara … murmura-t-il, presque inaudible. »
La jeune fille n`était déjà plus qu`un point dans l`horizon. Les méandres du cœur d`un homme sont faits de labyrinthes indécelables ; Tom commençait seulement à comprendre les siens. Jusqu`à lors, il était conscient de la valeur de Kara, mais il pensait l`avoir à sa guise. Depuis sa plus tendre enfance, les filles lui tombaient dans la main comme des mies de pain ; fades, semblables, sans attrait. Kara, elle, l`avait directement touchée par sa naïveté et sa gaieté naturelle.
Et maintenant qu`il l`avait perdue, il se rendait compte que non seulement elle lui était indispensable, mais qu`il en était éperdument amoureux.
J`espere que cela vous a plu.