[T] Kein Zurück - I

En reprenant mon footing, je réalise petit à petit que le moindre événement peut décider d’une vie. Après tout, il suffit d’une rencontre de plus ou de moins, ou d’une seconde passée à un autre endroit, pour que tout s’enchaîne différemment. Qu’est-ce qui a fait basculé la vie de Georg, alors? Qu’est-ce qu’il l’a éloigné de…moi? Fallait-il qu’il préfère finalement Bill et Tom pour adopter leur mode de vie?

Mon pouls s’affole sous le soleil tombant, j’accélère le rythme. Je ne rêve que d’une douche et d’un son chargé de basses et de batteries dans mes oreilles pour ne plus entendre le bourdonnement des pensées nocturnes auxquelles je suis sujet. Bill m’a un jour confié qu’il n’écrit presque toujours qu’en journée. Moi je sais que je serais incapable de produire quoi que ce soit avant que la nuit ne soit tombée. C’est sans doute psychologique. Un jour, j’ai gribouillé quelques paroles au coin d’une feuille et le lendemain j’ai proposé ce bout de texte aux garçons. Bill a rit. C’était bon enfant et très légèrement moqueur, mais le message est passé. Bill écrit, Tom compose. Et nous, on s’exécute. Je me suis dit qu’un jour j’aurais le courage de me révolter un peu. Mais qui m’écouterait　? Je ne peux crier plus fort qu’eux, et je n’ai aucun self-control.

***

La fréquence des appels diminue petit à petit. Je soupçonne Tom d’avoir fait passer le message aux autres, et si c’est le cas, je lui en suis reconnaissant. Même si Bill continue de m’envoyer des SMS, je n’y fais même plus attention, ça ne m’intéresse pas. Je ne suis qu’une contrariété de plus dans sa vie de star, et il saura bien calmer ses ardeurs dans un pub ce soir, aux côtés de Tom et Georg, très certainement.

Je voudrais mettre tout ça derrière moi le plus rapidement possible. Je ne pourrai jamais tirer un trait sur toutes ces années sur scène, et plus encore, sur notre amitié. Mais je voudrais pouvoir au moins mettre un point, sauter une ligne, et commencer une nouvelle vie. Avec eux, si possible. Je dois trouver les mots.

Après être retourné dans le bois ce matin, avoir pris une douche et mangé un peu, je m’assois en tailleur sur mon lit, un stylo dans la bouche et une feuille blanche sur les genoux. C’est une très belle feuille, format A4, toute lisse. Une magnifique feuille que je fixe, intensément, sans relâche. J’attends que l’inspiration arrive de quelque part. Je dois absolument la noircir avant ce soir, parce que j’ai décidé que tout doit être clair le plus vite possible, aussi bien pour eux que pour moi. Si Tom me rappelle , je veux pouvoir essayer de lui expliquer. Pourquoi à lui　? Parce qu’il a au moins la décence de s’inquiéter, de se dire que ce n’est pas normal. Ou en tous cas il fait semblant de le faire, mais ça le distingue déjà largement de son frère. Mais les minutes passent, les heures aussi, peut-être, sans que je ne parvienne à écrire quoi que ce soit. Je repasse sans cesse la pointe de mon stylo sur le petit tiret qui attend désespérément le premier argument que je devrais avoir à leur présenter, mais je suis incapable de formuler clairement ce que je pense. Tout se brouille. Je prends sur moi pour ne pas abandonner, mais je me surprend à penser à autre chose, à regarder dehors. Il devrait bientôt pleuvoir. Dans mon armoire, je prends un nouveau jogging et un Marcel j’ouvre la fenêtre et enjambe la rambarde. J’adore courir sous la pluie.

J’aurais du laisser un mot, je suis parti longtemps. Ils n’ont pas l’air de s’être inquiétés, cependant. Francesca ou maman a fermé ma fenêtre lorsque la pluie a commencé à tomber, vers dix-sept heures, et ils m’accueillent tous les trois avec un grand sourire lorsque je passe le seuil de la porte d’entrée, trempé d’une eau où se mélangent le chaud et le froid. Je leur indique la salle de bains d’un signe, trop essoufflé pour dire quoi que ce soit, et je ferme la porte derrière moi.

La serviette en travers des épaules, je sors de la pièce embuée, relaxé, allégé. Sur l’écran de mon téléphone s’affichent trois nouveaux messages. C’est incroyable, ça, on peut pas être tranquille cinq minutes　? C’est Bill, encore, évidemment. Je retourne dans ma chambre, sur mon lit. Je retrouve ma feuille blanche, qui ne s’est pas remplie depuis cet après-midi, évidemment. A côté de mon genou, mon téléphone vibre encore. C’est Tom. Comment fait-il pour toujours être là au bon moment　? Je soupire alors qu’il continue de sonner dans le vide. Je fixe ma feuille blanche. Avant la fin de l’appel, je décide de décrocher. "Au point où j’en suis…".

- Allo.
- Gustav? dit Tom, bêtement.
- Ben oui. Salut.
- Salut. Ca va? hésite-t-il.
- Pas mal.
- …
- Heu… et vous?
- Ben… ça peut aller. C’est un peu la panique sans toi quand même.
- …
- Qu’est-ce qui t’arrive, Gus?