[T.] Aime-moi, Anna...aime-moi. II

Il continua, ouvrit la portière, s'installa au volant.
Je courus alors aussi vite que je pus, et coinçai sa porte avant qu'il ne la referme.

Il força pour fermer la portière, y parvint, et démarra le moteur.
Je courus difficilement – robe de cocktail et hauts talons obligent – jusqu'à la portière passager,
l'ouvris et entrepris de grimper dans le véhicule alors qu'il était déjà en marche.
Je glissai, me relevai, courus à côté de la porte encore ouverte, et réussis finalement à m'introduire dans l'habitacle.

Il sourit doucement, et je sentis mon cœur s'emballer face à tous les souvenirs que ce visage réveillait en moi.
Toute trace de ma colère avait disparu.
La portière fermée, alors que la voiture quittait le parking, j'aperçus Matteo,
le visage fermé sur le pas de la porte de la galerie, les bras croisés sur la poitrine.
Gustav et Ileana semblaient hallucinés, tandis que Julie et Bill eux,
souriaient comme s'ils savaient que tout finirait comme ça.

Un silence s'installa. Je ne savais pas par où commencer.
« Pourquoi t'es parti ? »
Non. Trop direct. Je ne savais plus quoi penser, je paniquai intérieurement,
je me demandai en fait pourquoi j'étais montée dans cette voiture, avec lui, au lieu de rester avec Matteo.
La petite voix qui aimait tant me faire la morale se réveilla dans ma tête.
« Tu l'as suivi parce que tu n'aimes pas le savoir en colère.
Parce que tu te souviens de cette phrase qu'il t'avait dite.
« J'aime pas quand t'es triste...ça me rend triste aussi. »
Parce que...parce que tu l'aimes encore. »

Mon portable sonna, m'empêchant de terminer.
Je vis le sourire de Tom s'éteindre, sous le coup des derniers mots que j'avais prononcé.
Je répondis. « Nouvel appel entrant : Matt. <3 »

Mon voisin tourna brièvement la tête vers moi, un sourcil relevé, interloqué par l'entente du nom de son double.

Sa voix tremblait, et je compris qu'il allait pleurer.
Chose tellement rare chez lui que je me sentis coupable.
Coupable de l'avoir laissé.
De lui avoir fait croire que je préférais prendre le parti de Tom.

Je tendis le portable à son jumeau qui s'arrêta sur le bas côté, et s'empara de l'objet.

Il raccrocha et me rendit mon téléphone. Lorsque je le saisis, je frôlai ses doigts, et je frissonnai.
Je ne pouvais pas. Non je ne devais pas. Je ne devais pas retomber sous son charme.
Parce que tout recommencerait alors, et je tomberais d'encore plus haut.
De toute façon, il m'avait laissé, et rien que de penser à la torture mentale que je m'étais infligée après son départ,
rien que ça me fit peur et calma mes ardeurs.

Ce n'était rien d'autre que de la nostalgie.
Et la nostalgie vous fait croire bien des conneries, parfois.

Il démarra en trombe, après que je lui ai indiqué l'adresse.

Il ne dit rien.
Il sembla énervé par ce que je venais de sortir, car ses doigts se crispèrent sur le volant, et il accéléra encore.

Ma main alla s'écraser contre sa joue, alors que nous arrivions dans ma rue.
Je descendis telle une furie de la voiture, claquant la porte derrière moi, les larmes aux yeux.
Bill et Julie sortirent du loft, et je les évitai avant de claquer la porte d'entrée.
Je soufflai, hurlai un bon coup.
Matteo accourut, à la fois paniqué par mon cri, et toujours en colère pour ma réaction de plus tôt.
Il avança à grands pas vers moi, se stoppa à un mètre de moi.
J'eus d'abord peur de recevoir une gifle, mais il m'enlaça avec toute la force qu'il possédait.

Matteo soupira, comme soulagé par mon annonce. Je ne savais pas exactement pourquoi cela lui importait tant.
Malgré tout, je me sentais mal. Pourquoi, je ne savais pas.
Mais cette sensation me bouffait de l'intérieur, comme si le peu de phrases échangées,
le peu de regards partagés avec Tom ce soir, avaient comblés un vide latent en moi pendant ces trois années.
Je ne savais toujours pas pourquoi il m'avait quitté, mais je me sentais tout de même mieux.
J'avais, jusqu'à présent, eu beaucoup de mal à l'admettre, mais je devais me rendre à l'évidence : il m'avait manqué.

Je suis encore en train de m'engueuler avec Bill. En ce moment, on ne fait que ça.
Depuis qu'ils sont rentrés l'autre jour, avec Julie, de chez elle. Bill était remonté, vraiment en colère.
Julie l'avait calmé, et ils s'étaient enfermés dans la chambre de mon frère,
pour chuchoter je ne sais quoi pendant dix minutes, avant de sortir l'air satisfait.

Depuis ce moment précis, ils me bassinent, tous les deux, avec cette putain d'exposition.
Pire, ils ont monté la tête de Noah, qui me rabâche sans arrêt que peut-être son pote John,
à qui j'ai déjà rendu service, aurait besoin d'aide pour mettre en place les tableaux de cette nouvelle expo.
Merde. Ils me font tous chier.
Ils veulent que je la vois, ou quelque chose du genre.
Ils font tout pour, ils font des messes basses sous mes yeux tout le temps, rigolent, acquiescent, rigolent encore.
Plus ça va, plus je me sens seul. Plus ça va, plus j'ai envie de tout plaquer.
Plus ça va, plus je me hais de l'aimer autant.

[…]

Je ne dis rien, et il claque la porte, en râlant « Tu fais chier, Tom ».
N'importe quoi.
Comme si j'en avais quelque chose à foutre moi, de ce qu'elle ressent.
Comme si il pouvait encore y avoir un espoir qu'elle m'aime encore.
J'sais pas ce que mon jumeau à fumer pour croire ça, mais ça devait être d'la bonne.
Je sors une clope de mon paquet enfermé dans la boîte à gant, et l'allume.
J'inspire fortement, puis expire cette fumée qui, de toute façon, ne peut pas me détruire plus que l'amour que je lui porte.

Je fais le vide, ou du moins essaie.
La salle est comble, et de ce que je peux apercevoir, les gens ont l'air contents de ce qu'ils voient.
Non. Non je ne sortirais pas.
Il ne faut pas que je l'aperçoive, parce que je crois sinon que je vais y aller.
Et il ne faut pas que j'y aille. Ça vaut mieux. Et pour moi, et pour elle.
Parce que je ne sais plus comment exprimer mes sentiments.
Avec elle, c'était tellement facile. Simple comme bonjour, et vital comme de respirer.
J'avais besoin d'elle, et lui dire « Je t'aime » venait le plus naturellement du monde.
En trois ans, tout est parti. Je ne sais plus quels mots employer pour qu'elle sourit, pour qu'elle sache ce que je ressente.
Je ne sais plus dire « Je t'aime », parce que la seule chose que j'ai fait, pendant tout ce temps,
c'est jeter des filles avec lesquelles j'avais couché, sans aucun remord.

Je termine donc ma cigarette, et, par curiosité, jette à nouveau coup d'œil vers la salle.
Oh. Oh merde. Non.
Elle est là, sublime, radieuse, souriante, dans une magnifique robe qui met en valeur son corps si bien dessiné.
Ma volonté s'effondre et je sens mon cœur prêt à exploser dans ma poitrine.
Mes jambes ne répondent plus vraiment à mon cerveau, en alerte,
qui aimerait m'empêcher d'aller me torturer là-bas, et me portent hors de la voiture.

Une fois dans la salle, je vis tout le monde agglutiné dans la salle principale,
mais je n'ai qu'une envie, voir tous ses tableaux.
Je fais donc un tour rapide de la galerie, et ce que je vois me tue : tellement d'amour, tellement de beauté.
Des tableaux à 4 mais aussi, symbole de leur amour. C'est définitif, elle est passée à autre chose.
Cette affirmation s'articule peu à peu dans ma tête,
et toutes mes espérances se brisent à la minute même ou je réalise que tout est perdu.
Je sens des larmes faire leur chemin pour finir par couler sur mes joues, et continue d'examiner chaque tableau,
chaque nom d'œuvre.
« Under the Moolight. Your Light »« Children in Love », « Universal Love », « Me and You »...tout ça, tout ça c'est pour lui.
C'est eux. Et moi, et moi dans tout ça ? J'ai envie de hurler, mais rien ne sors.

Et alors que la détresse et l'envie de m'enfuir s'empare de moi, je tombe nez à nez avec...moi.
Un corridor entier. Moi, moi, moi, moi. Tout sourire, en colère, mélancolique, avec ma guitare,...en pleurs ?
J'hallucine, et tout ce que je vois, me mets du baume au cœur.
Je vois le nom de cette partie de l'expo : et je reste bouche bée en m'apercevant que c'est un nom allemand.
Et pas n'importe lequel :

« Komm und Rette Mich, Ich verbrenne innerlich,
Komm und Rette Mich, Ich Schaffs Nicht, Ohne Dich... »

C'est tellement dur, de voir ça.
Comment peut-elle me faire ça ? Comment peut-elle utiliser mon image ?
Comment a-t-elle fait, d'ailleurs, pour que ces portraits soient tellement ressemblant ?
Merde. Je l'aime, je l'aime, je l'aime. Oh, Anna. Anna sauve-moi.
Sans toi, je ne peux pas. Je ne peux plus. Je ne veux plus sans toi.
Reviens, reviens-moi.

Un tonnerre d'applaudissement me sors dans mon état second.
Je me dirige dans la direction de ce bruit...et je sens quelque chose se briser à nouveau.
Elle est pendue à son cou, elle l'embrasse. Elle l'embrasse avec amour.
Comme elle m'embrassait, avant.

Pfffff. Quedal.
Je lève la tête vers l'œuvre qui suscite tant d'attention,
et de regards débordants de tellement de bons sentiments envers eux que ça en est à gerber.
Ce tableau, je le trouve franchement moche.
C'est elle, mais je le trouve tellement fade, tellement fade comparée à la réalité, à la réalité de ses traits.

Elle me regarde, l'air déçue, l'air en colère.
Moi, je soutiens son regard, bien décidé à lui en faire baver.

Elle manque de s'étouffer de surprise.

Matteo se tourne vers moi.
Ah.
Enfin les choses marrantes commencent.

Il ne dit rien. Eh oui. Eh oui j'ai raison.
Elle ne t'aime pas autant qu'elle le laisse paraître, tête de nœud.
Un rictus de satisfaction s'étire sur mes lèvres.

Comment ça, je ne suis rien ? Comment ça ? Et tous ces portraits de moi ?
Et toute la détresse qui en ressort...je...je ne comprends plus rien.
Je supplie mon frère du regard, je veux qu'il me soutienne.

Voilà le seul truc qu'il sort, d'une voix désolée.
Ok, mon propre frère ne veut pas m'aider. Mon double.
C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase.
Je sors d'ici, la rage au ventre, l'envie de tout casser de plus en plus présente.

Je ne m'arrête pas, ouvre la voiture, monte dedans, mais elle réussit à coincer ma portière.

Je veux tout de même fermer cette putain de portière, et y arrive.
Mais cela ne la décourage pas, elle se presse en sautillant presque, à cause de sa tenue,
et atteint la portière côté passager, et alors que je démarre, l'ouvre pour monter.
Mais j'avance déjà, ce qui fais qu'elle trébuche, se relève et finit par sauter à l'intérieur de la voiture.
Le fait qu'elle se soit tant acharnée et qu'elle soit tombée me panique un peu, et je lui fais savoir :

Cette voix plaintive, et cette moue mécontente m'avait tellement manqué...
je sens un sourire naître sur mon visage, un sourire que je n'avais pas eu depuis longtemps.
Un sourire qui me réchauffe le cœur. Puis d'un seul coup mon euphorie retombe,
et je demande juste pourquoi elle est là, avec moi, alors que son mec la regarde, ahuri, partir.

Le silence envahit l'habitacle, et je me replonge dans mes pensées, les yeux rivés sur la route.
Que fait-elle avec moi ? Me savoir en colère l'aurait touchée ?
Est-ce que ça pourrait vouloir dire que...qu'elle m'aime encore ?

Son portable sonne, et ses derniers mots résonnent dans ma tête.
Elle n'a pas tort.
Elle a sûrement changé pendant ces trois dernières années, mais pourtant,
j'ai toujours l'impression de la connaître sur le bout des doigts.
De reconnaître beaucoup de ses expressions, de ses sourires, de ses intonations...

Comment ? Bill ?
Je n'entends rien de ce qu'il lui dit, mais apparemment, elle ne s'attendait pas à tomber sur lui.
Je ne sais pas ce qu'il se passe, mais soudain j'entends son interlocuteur hurler de l'autre côté du téléphone.

Elle ne semble pas vraiment sûre d'elle.
Elle semble aussi profondément peinée.

Elle me tend soudain l'objet, et je le prends, après m'être arrêté, intrigué de savoir qui veut me parler.

Je raccroche et lui rend le téléphone.
Nos doigts se frôlent, et mon cœur trésaille. Je me fais violence pour ne pas sauter sur ses lèvres.
Pour ne pas empirer la douleur qui me déchire de toute part

Elle me donne son adresse, et je démarre, muet.
Elle me regarde plusieurs fois et ouvre la bouche pour dire quelque chose, et se ravise deux ou trois fois,
avant de finalement lancer d'une manière hasardeuse :

Il est vrai que j'en ai vraiment rein à foutre. C'est bien le dernier truc que je souhaite entendre.
Que cette tête de con soit quelqu'un de bien ou pas, ça ne change rien au fait que je le hais.
Elle semble agacée par ma remarque, et en rajoute une couche.

N'importe quoi.
Mes doigts se crispent d'énervement autour du volant, mon pied enfonce l'accélérateur un peu inconsciemment,
à mesure que la rage s'empare de tout mon corps,
de la tête aux pieds. Elle n'a pas le droit de me dire à qui je dois m'en prendre.
Elle n'a pas le droit de me dicter mes sentiments.
Elle n'a pas le droit d'exposer ma tête d'une telle façon dans son exposition,
et puis prétendre qu'elle me trouve pathétique.

Je ne sais pas vraiment je dis ça. Ça sonnait bien.
Tellement bien qu'elle me gifle bruyamment, avant de bondir hors de la voiture,
et de rentrer chez elle, telle une furie. Bill et Julie arrivent, l'évitent de justesse, et montent à bord.

Julie me sourit doucement, et pose sa main sur mon épaule. Bill accompagne son geste.
Et tout de suite, je me sens mieux. Ils sont là pour moi. Ils savent à quel point j'ai besoin d'elle.
Même si ça fait mal. Même si elle est avec lui. Même si elle me hait sûrement.
Je croise leurs regards, et je sais que je pourrais compter sur eux.
Prêts à m'aider.
Oui parce que malgré tout, son geste d'aujourd'hui est clair.
Elle ressent encore quelque chose. Et je vais tout faire pour la récupérer.