[T.] Aime-moi, Anna...aime-moi. II

Mon sourire s'évanouit alors, et je sentis un trou dans ma poitrine grandir,
s'approfondir à mesure que les mots de Gustav s'articulaient dans mon cerveau.
Je ne voulais ni le revoir, ni avoir quoi que ce soit à faire avec lui. Je me remémorai alors les mots de Bill :

« Je comprends que t'es en train de le tuer, avec tes conneries. T'es indécise, Anna, une gamine capricieuse. J'ai de l'affection pour toi, c'est sûr, mais tu comprendras que je privilégie mon double. Et ce qu'il lui faut, c'est rien d'autre que ton amour. Et ce que tu fais là, ne changera rien. On se retrouve tous au mariage de Gustav tu sais. Et d'ici là, j'espère que ta vie aura été assez infernale pour que tu te rendes compte qu'il est l'unique chose qu'il te faut. »

Sauf que voilà, ce dernier mois avait été plus qu'heureux.
Loin de lui, loin de son visage, de ses manies, de sa voix, de toutes ces choses qui me faisaient tellement mal.
Je m'étais occupé l'esprit, j'avais fait des emplettes avec Kat pour le futur bébé des futurs mariés,
j'avais pris soin de moi, chose que je n'avais pas fait depuis longtemps; bref, j'étais bien.

Il me regardait, attendant une quelconque réaction de ma part.
J'étais là, stoïque, assimilant chaque mot avec une lenteur extrême.
Je ne savais plus pourquoi j'avais tellement peur, pourquoi je le repoussais.
Je ne savais plus ce qui me repoussait chez lui. J'avais 21 ans maintenant, et j'étais effrayé à l'idée d'être déçue.
J'avais 21 ans, et chaque fois que je le revoyais, je me revoyais gisant sur le sol de cette salle de bain.
J'étais profondément mal. C'était quelque chose de bien plus ancrée en moi que je ne voulais l'admettre.

Il se leva, m'embrassa tendrement sur le front, et se dirigea en direction de la porte.

Et il s'en alla. Bordel, comment allais-je m'en sortir ?

[...]

Il ne restait que 5 jours. Nous étions attendu la veille du mariage,
dans un sublime domaine que les futurs mariés avaient loués afin de loger tous les invités.
Kat et moi devions nous y rendre ensemble la veille, et aider si nécessaire aux derniers préparatifs.
Elle avait fait en sorte de m'écouter lorsque j'en avais besoin,
mais me forçais à appeler Matteo pour qu'il entende mes doutes, mes peurs.
Il ne savait en général pas trop quoi répondre. Il y avait toujours, dans nos discutions,
des blancs pendant lesquels je savais qu'il mourrait d'envie de me dire quelque chose.
C'était une étrange sensation, parce que bien que nous ne soyons plus ensemble, je connaissais Matteo,
et je savais que ces silences étaient les symptômes d'une gêne grandissante, d'une envie de m'avouer quelque chose...
mais j'avais beau l'interroger, il me disait de ne pas m'inquiéter.

Plus j'y pensais, plus je me rendais compte qu'une sorte de hâte malsaine m'envahissait.
Je voulais voir, voir comment il se portait, voir si il était toujours autant déterminé,
voir si il avait renoncé, voir si il allait aussi mal que moi.
Gustav m'assaillait d'appel, complètement paniqué, chose qui me faisait particulièrement rire,
parce que son angoisse était injustifiée. Ileana allait lui dire oui, et lui annoncer qu'il allait être papa.
J'attendais de voir comment il allait réagir, je me sentais tellement heureux pour eux.

Elle était hilare, rien qu'en s'imaginant la scène. Moi, je riais, sans vraiment rire, j'étais ailleurs,
entre doute, peur, impatience et bonheur de voir mes amis s'unir pour la vie.

[…]

Elle se saisit de ma main et nous entrâmes dans le château
qui allait nous servir de résidence pour les deux prochains jours.

Elle semblait halluciner, regardait partout et s'émerveillait de chaque petit détail, moi, je ne pensais à rien.
Mon esprit se vidait à mesure que j'entrais dans l'endroit qui allait être pour moi un calvaire.
J'en frissonnais d'avance.
La première question qui m'effleura l'esprit était de savoir si il était déjà arrivé.
Sûrement, puisqu'ils leur fallait au moins une vingtaine d'heures de sommeil
pour rattraper le sommeil que le voyage engendrait sur lui, comme sur son frère d'ailleurs.
Gustav descendit les marches de marbres qui arrivaient dans le hall pour nous accueillir.
Son sourire était crispé, il avait l'air plus que stressé.
Il dévala les marches tellement rapidement qu'il manqua de se ramasser plusieurs fois.
Décidément, Kat avait raison, on allait bien rire.

Un rire jaune s'échappa de sa bouche pincée.

J'explosai de rire, elle aussi, Gustav nous sourit sincèrement et nous lança un regard vraiment attendrissant.
Je ne l'avais jamais vu aussi mal à l'aise, et pourtant, le malaise était quelque chose d'assez récurrent chez lui.

Il me sourit plus franchement, me prit dans ses bras,
de cette façon si chaleureuse que j'aimais tant chez lui.

Je levai les yeux au ciel. Quel numéro cette fille.

Il m'accompagna à ma chambre, où Ileana avait déposé ma robe.

Mon sourire fut la seule réponse à son affirmation.
Il vint m'embrasser le front, geste que j'affectionnais particulièrement de sa part.
C'était un signe de sa présence, une façon de me dire qu'il serait là pour moi bien qu'il se mariait le lendemain.

Sa voix était pleine de sous-entendus, et il avait bien insisté sur le mot « amical ».
Je fronçai les sourcils, et il fronça lui aussi les siens.

Il me regarda, se retint de dire quelque chose, qui j'en étais certaine, aurait pu me blesser,
et me laissa dans ma chambre, sans rien ajouter.

Je tentais de me raisonner, de me calmer.
J'avais déjà l'impression de suffoquer, sa seule pensée m'oppressait sous la poitrine.
Ma cicatrice semblait me hurler de cracher le morceau, de tout dire, de tout expliquer, pour enfin la laisser s'en aller,
la laisser emporter avec elle les trois années de vide sans lui.
J'avais besoin de dormir. J'avais besoin, besoin...d'air.
Je pris mon manteau et m'en allai dans le parc, qui je devais l'avouer, était sublime.
Les arbres commençaient tout juste à prendre leur teinte d'automne, si bien que je m'en sentis inspirée.
Je commençai donc un croquis aux teintes rougeoyantes, et me détendis peu à peu.
Je me surpris même à sourire béatement devant le résultat.

Je n'osai pas me retourner.
Sa voix avait suffit à faire battre la chamade à mon pauvre cœur.

Je ne m'exécutai pas, et le sentis de plus en plus proche.

Je ne dis rien, et me contentai de rester immobile,
mon cerveau cherchait un moyen de s'échapper le plus rapidement possible.
À droite ? Non. Un arbre. À gauche ? Non plus.
Devant, impossible, mon chevalet m'empêchait de passer.
Et derrière, il était évident que ce n'était pas possible.

Il s'était arrêté à quelques centimètres de moi, son souffle chaud parvenait dans ma nuque.
J'avais peur.
J'avais envie de tout sauf de me sentir mal, pour ces journées qui allaient être si spéciales pour Gustav et Ileana.
Je voulais être une bonne demoiselle d'honneur,
une amie qui mettait ses problèmes de côtés pour apprécier ces moments à leurs côtés.

Nouveau silence de ma part.
Il venait de s'allumer une cigarette, et l'odeur enivrante de son tabac m'enveloppa.
Ne pas craquer, surtout ne pas craquer.

Je remballai mon chevalet, mon croquis et le plantai là, plutôt fière de moi.
Je n'avais pas céder. Je ne lui céderai plus.

Julie et Ileana étaient assises dans le parc, et me souriaient.
Julie se leva d'un seul coup pour me sauter dans les bras, avant de réaliser que j'étais un peu encombrée.

Je la regardai, émue qu'elle reconnaisse qu'ils avaient tort.

Nous rîmes et commençâmes à parler de la cérémonie du lendemain,
de nos robes, du repas, des préparatifs...demain serait un grand jour.
Mais avant ça, je devais survivre à notre diner « amical ».

[...]

Nous passions une soirée super, j'avais évité les regards fourbes de Bill, et ceux, noirs et perturbants de Tom.
Julie et Ileana m'avaient bien changé les idées,
et j'en avais presque oublié la douleur qui me rongeait de l'intérieur.

Tous le monde explosa de rire.
Il était vrai que Gustav avait eu beaucoup de mal à passer à autre chose après notre séparation.
Mais j'étais bien heureuse qu'il y soit arrivé, et bien comme il faut.

Je me sentis défaillir, et compris où il voulait en venir.
Il allait faire en sorte qu'on éclate. Là, ce soir, la veille du mariage.

Tout le monde se tut, retenant son souffle. Tom assassinait à la fois son frère et moi des yeux,
ce qui ne fit qu'inciter Bill à continuer, un sourire fier sur les lèvres.
Il planta ses yeux dans les miens, son regard débordant de malice, de défiance, d'assurance.

Nous étions à présent levé, face à face.
Ma cicatrice se mit à me faire mal, comme si la peine et la colère agissaient sur elle comme un acide.
Je plaçai mes deux mains sur mon flanc gauche, et les larmes firent leur apparition, ma respiration s'emballa,
et je reconnus les symptômes d'une crise de panique.

Animée par une colère sans nom, je repris mon souffle, et décidai qu'il fallait qu'il sache.
Que tout le monde sachent. Je levai donc furieusement mon t-shirt,
dévoilant cette marque de désespoir qui ne quitterait plus jamais ma peau.
Tous furent muets de stupeur, et personne ne comprenait pourquoi j'agissais de la sorte.

Je m'effondrai donc sur ma chaise, toujours en pleurs.
Plus personne n'osa dire quoi que ce soit. Bill en avait les larmes aux yeux, de même que les filles.
Gustav vint m'enlacer, et me chuchota que ça allait aller, qu'ils étaient là maintenant.
Tom n'avait pas bougé, sonné, mais toujours autant en colère.

Je me tus.
Brisée.
Incrédule.
Et fatiguée.

Aussitôt dit, aussitôt fait, Gustav me porta jusqu'à ma chambre, suivi de près par Ileana et Julie.
Je me sentis tombée doucement dans les bras de Morphée, mais lorsqu'il me déposa sur le lit,
je me réveillai, et lui soupirai tout doucement :

Je lui souris, et Gustav m'embrassa le front, Julie me fit un petit signe de la main.
Je sombrais dans un lourd sommeil, sans l'ombre d'un rêve.