[A]-Delomelancum

Lorsqu’ils furent tous les quatre réunis, ils descendirent à l’accueil avant de prendre à droite vers la grande salle réservée pour eux. Ils entrèrent après avoir toqué et remarquèrent leur producteur assis au bout de la grande table, le visage sérieux. Ils s’installèrent tous sur une chaise et attendirent de savoir ce qui pouvait se passer d’aussi urgent pour qu’ils soient obligés de se réunir à deux heures du matin après un concert épuisant. David toussota et se leva regardant chacun d’entre eux tour à tour.

David : Désolé de vous avoir fait venir à cette heure-ci, mais… C’est important. A vrai dire, je ne sais pas trop comment vous l’annoncer… Mais je dois le faire, alors voilà… J’ai reçu un coup de téléphone il y a quelques heures. Il y a trois jours, on a retrouvé un corps dans une maison qui a brûlée dans un incendie… Et d’après les médecins légistes, il s’agirait de Will Miller.

A l’entente de cette horrible nouvelle, les oreilles de Tom se mirent soudainement à bourdonner. Il n’entendait plus rien. Ne voyait plus rien. Il suffoquait comme si on appuyait de toutes ses forces sur son cœur. Il se leva brusquement sans dire un mot et quitta la salle en courant pour se diriger vers les toilettes et s’y enfermer. Il se laissa doucement glisser contre la porte comme un pantin inanimé pour se retrouver assis sur le carrelage froid qui lui rappelait qu'il s'agissait bel et bien la réalité. Il ne put contenir ses larmes plus longtemps. Il était coupable. Elle était morte par sa faute alors qu’il aurait pu la retenir ou aller la rechercher. Au lieu de ça, il avait écouté les autres et l’avait simplement regardé partir. Il était furieux. Son cœur était prêt à exploser. Il avait envie de frapper et de hurler sa rage et sa tristesse. Cette douleur qui lui prenait tout le ventre et qui l’empêchait de respirer normalement. Qui sait combien elle avait du souffrir et appeler au secours. Il se haïssait tellement… Il les haïssait encore plus. Il se releva et aperçut ce reflet dans le miroir qui ne lui plaisait guère… Cette culpabilité et cette colère apparentes. Il donna alors un violent coup de poing en hurlant et brisant la glace en milles morceaux. Au même moment, Bill tapait avec la même force sur la porte en le suppliant de le laisser entrer.

Gustav et Georg, eux, étaient restés assis et littéralement bouche bée, sous le choc. La fille qu’ils avaient connus et qui avaient été leur amie pendant de longs mois avait été retrouvé morte… Le batteur avait immédiatement posé sa main sur sa bouche. Le bassiste fixait le producteur, anéantit. Ils avaient tellement de questions en tête, tout se bousculait à l’intérieur d’eux, mais l’une d’entre elle revenait sans arrêt.

Georg : Qu’est-ce qui a déclenché l’incendie ?
David : La police continue l’enquête, mais il semblerait qu’il se soit déclenché volontairement.
Gustav : Son père…
David : En effet, il est le suspect numéro 1…
Georg : Est-ce qu’elle… Elle a souffert ?
David : … Elle était encore vivante lorsque le feu s’est propagé... Elle a été prise au piège et n’a pas réussit à s’en sortir… Je suis désolé.
Gustav : Elle est morte brûlée vive… ?
Georg : Oh mon Dieu.
David : Je ne sais même pas quoi vous dire… On va interrompre la tournée une semaine ou deux et retourner en Allemagne pour l’enterrement et pour que vous puissiez avoir quelques jours pour vous relever de cette terrible nouvelle. Vous direz à Tom et Bill qu’on se lève très tôt demain matin, on prend le premier avion.

David, désemparé et ne sachant que dire d’autre dans ce genre de situation, laissa les deux garçons seuls. Gustav avait le regard perdu, les bras ballants, il savait qu’il était encore incapable de se relever sous peine de s’écrouler. Et Georg lui, ne cessait de le fixer. Aucun d’eux n’avait de mots. Ils n’avaient plus que des silences. Ils pensaient à elle… Et ils pensaient à Tom. Finalement, le bassiste posa sa main sur le bras de son ami comme pour lui assurer qu’il était là dans ce moment terrible qu’ils se devaient d’affronter.

Tom, de son côté, finit par ouvrir à son jumeau qui à la vue de son visage rougit par les larmes et de son poing en sang, se jeta sans retenu sur lui pour le prendre dans ses bras. Étant à bout de force, il ne put le retenir, aussi léger soit il, et se laissa tomber à genoux par terre. Bill l’enlaçait si fort qu’il avait l’impression d’être en coton. Il sentait ses larmes couler dans son cou et l’entendait murmurer milles pardons à son oreille. Être si proche l’un de l’autre à pouvoir entendre son cœur battre contre lui, il avait la sensation de n’être qu’une seule et unique personne. Une âme séparée dans deux corps différents, elle ne pouvait redevenir qu’une seulement dans ce genre de situation. C’était tellement étrange… Tout était divisé par deux. L’amour, la haine, la colère… La tristesse. Mais à ce moment là, ce n’était plus divisé… C’était multiplié. Ainsi, il se sentait encore plus mal… Il le repoussa alors violemment et fixa son regard rempli d’eau salée dans celui de son jumeau.

Bill : On pouvait pas la sauver…
Tom : Si ! On le pouvait ! On ne l’a pas fait à cause de toi !
Bill : Elle ne t’a pas écouté, Tom ! Si elle ne t’a pas écouté toi, personne n’aurait pu la convaincre !
Tom : T’essaie de rejeter la faute sur moi ? !

Tom : T’essaie de rejeter la faute sur moi ? !

Bill : Non, tu sais que ce n’est pas mon intention ! Tom, calme toi une seconde et réfléchis, d’accord ? Je sais à quel point tu es bouleversé et je le suis aussi, crois-moi ! Mais ni toi, ni moi, ni Gus’, ni Georg n’avons à culpabiliser…
Tom : T’es vraiment pas croyable… Et dire que je pensais te connaître… Tu me dégoûtes.
Bill : Bordel, mais j’essaie de t’aider, Tom ! !
Tom : Et bien mauvaise nouvelle ! Tu empires les choses ! Tu ne ressens absolument rien alors que tu étais amoureux d’elle ! Et ne me dis pas que ce n’est pas vrai ! J’ai l’impression que tu as vendu ton âme au Diable… Que tu es quelqu’un de complètement différent…
Bill : T’es sûr que ce n’est pas plutôt toi qui étais amoureux d’elle… ? Être au petit soin pour elle sans arrêt, l’aider pour tout et n’importe quoi, prendre des risques, mettre ta vie en danger, mentir à ton frère jumeau… Jamais tu n’aurais pu faire tout ça pour une simple fille… Jamais, sauf si tu avais des sentiments autres qu’amicaux pour elle…
Tom : Tu dis des conneries… C’est tout ce que tu sais faire… Barres-toi.
Bill : C’est ça, je dis des conneries… En attendant, en vingt et un ans, je ne me suis jamais trompé sur toi. Je doute qu’aujourd’hui, les choses soient différentes.
Tom : Elles le sont. Casses-toi, je n’ai plus envie de voir ton visage faussement outré. Vas jouer la comédie ailleurs !

Bill se sentait plus qu’attristé par l’attitude qu’avait Tom envers lui plutôt que par la nouvelle qu’on venait de lui annoncer. En était-il pour autant un monstre ? Il ne l’avait pas cru jusque là, mais ces mots qui venait d’être dit lui avait transpercé le cœur. Son frère avait raison… Il n’était plus comme avant. Plus le garçon gentil, trop émotif et serviable qu’il avait été et ce changement semblait ne plaire à personne. Et encore moins à lui-même. Il se releva lentement cherchant quelque chose de rassurant à dire, mais rien ne lui venait. Tom le fixa à nouveau lui répétant de partir loin de lui. Il quitta alors les toilettes et longea les murs du couloir comme s’il cherchait à disparaître dans les motifs bleutés du papier peint. Will avait décidément gâché leurs vies, du début jusqu’à la fin.

D’un commun accord, Georg et Gustav décidèrent tous deux de se séparer pour s’assurer que les jumeaux allaient à peu près bien. Le jeune batteur ne sachant réellement ou trouver Tom, alla d’abord devant l’entrée de l’immense hôtel pensant le trouver en train de fumer cigarette sur cigarette pour se calmer, mais… Il n’y avait pas âme qui vive. Il cria son prénom une ou deux fois et n’ayant aucune réponse, il retourna à l’intérieur, il longeait le couloir lorsqu’il aperçut la porte des toilettes entrouverte et entendit une respiration assez fort parvenir jusqu’à son oreille. Il entra sans faire de bruit et découvrit son ami appuyer sur un lavabo, la main sous l’eau froide et reniflant sans pouvoir arrêter quelques larmes qui s’écraser sur son bras. Il comprit rapidement en remarquant l’un des miroirs brisé ce qu’il en était. Il s’approcha lentement de lui et posa délicatement sa main sur son dos.

Gustav : Eh Tom… Ça va ?
Tom : Comment ça pourrait être pire ?
Gustav : T’as besoin d’un médecin ? Tu veux que j’appelle quelqu’un ?
Tom : Non… Ça ira. La douleur que je ressens, c’est rien comparé à ce qu’elle a dû vivre elle avant de mourir.
Gustav : L’unique coupable, c’est son père. Toi t’as essayé de l’aider, tu lui a trouvé un boulot et un endroit où dormir. Je suis certain qu’elle t’en était très reconnaissante.
Tom : Bill était amoureux d’elle. Tout son charabia à propos de la manipulation et de l’accident, c’était du n’importe quoi… Tu le sais toi aussi, hein ? Tu l’as vu, pas vrai ?
Gustav : Oui… Je pense qu’il a été rapidement rattrapé par ses sentiments.
Tom : Pourtant on dirait qu’on vient seulement de lui annoncer qu’il n’aura pas de cadeau à Noel. Il s’en fout…
Gustav : Il ne réalise pas bien encore, laisse lui un peu de temps…

Gustav le fit se remettre en question. Peut-être avait-il raison après tout. Il avait eu le temps d’apprendre à les connaître depuis toutes ses années et un avis extérieur n’était jamais de trop. Il stoppa l’eau et releva la tête ayant un léger mouvement de recul en apercevant le reflet de son ami dans l’immense miroir face à lui. Ce qu’il y voyait ? Un visage et des yeux rougis par les larmes. Il se rendit compte à cet instant qu’il était idiot, idiot et égoïste de se plaindre comme ça sans arrêt alors qu’il n’était pas le seul à souffrir. Il se tourna pour se retrouver face à lui et tenta d’esquisser un sourire rassurant.

Tom : On devrait retourner se coucher…
Gustav : Ouais. Une bonne nuit de sommeil nous fera du bien. On a tous besoin de digérer la pilule.

Il acquiesça et ils se dirigèrent tous deux, en silence, jusqu’au quatrième étage. Ils devaient également penser à faire leurs valises même s’ils n’avaient pas réellement la tête à ça. Après ça, Tom ne prit même pas la peine de voir si Bill était bien rentré dans sa chambre, il avait besoin d’être loin de lui au moins pour quelques heures histoire de pouvoir réfléchir à la discussion qu’ils avaient eu et à leurs comportement respectifs.


Le lendemain matin.

Gustav avait pensé, ce matin là en se réveillant, que tout n’avait été qu’un cauchemar. Que Tom, Georg et Bill étaient aussi joyeux qu’ils l’étaient habituellement et que Will était quelque part dans le monde à construire sa vie avec de nouveaux amis et pourquoi pas, de nouveaux amours. Cependant, en voyant arriver Bill dans sa chambre, les cheveux décoiffés, son maquillage fait à la va-vite et sa valise fermée d’où l’on pouvait voir des tonnes de vêtements qui en dépassaient lui firent comprendre que tout était bien réel et qu’ils avaient rendez-vous à l’enterrement de leur amie d’ici quelques heures. C’est ainsi qu’ils se retrouvèrent, lunettes de soleil sur le nez qui servaient plus à cacher leurs larmes que pour passer inaperçus et bagages en mains, à l’aéroport. Tom avait un siège tout à droite de l’appareil, près de la fenêtre, à la droite de Bill et Georg et Gustav étaient à gauche et un peu plus loin derrière eux.

Au décollage, le guitariste ferma les yeux et se cramponna aux bras du fauteuil, le cœur battant la chamade comme s’il frôlait l’arrêt cardiaque. Il haïssait les avions et encore plus les décollages et les atterrissages, mais une fois l’engin stabilisé, il se décontracta légèrement préférant fixer le siège devant lui que les nuages par la fenêtre. Il inspira puis expira lentement avant de se stopper net lorsqu’il entendit la mélodie d'une musique non loin de lui… Il tourna directement ses yeux vers son frère dont les doigt pianotaient sur ses genoux au rythme de la chanson. Tom la connaissait par cœur, ‘Nena’ sans aucun doute, il soupira et continua de le fixer d’un air menaçant. Bill se sentant épié tourna son regard vers lui, surpris et retira un écouteur.

Bill : Qu’est-ce qu’il y a ? Ça va pas ? Tu veux tes medocs pour le mal de transport ? Ils sont dans ma valise…
Tom : Nan.
Bill : T’as envie de vomir ?
Tom : Bon sang Bill, je veux juste que tu éteignes cette putain de musique ! Ou que tu te trouves carrément une place ailleurs ! !